Maître Sophie Risaletto

L’article 214 du code civil dispose que « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. »

Cette disposition s’applique quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux et permet dans le cadre d’un contrat de mariage d’adapter la participation de chaque conjoint aux frais de la vie du couple.

Prévue principalement dans le régime matrimonial de séparation de biens, cette clause sur la contribution aux charges du mariage trouve son principal intérêt lors de la séparation du couple pour cause de divorce.

En effet, l’époux qui a des revenus supérieurs à ceux de son conjoint tente fréquemment d’obtenir une créance à son encontre dans le cadre de la liquidation de leur régime matrimonial.

Par sa décision du 1er avril 2015[1], la cour de cassation a souhaité expliciter la portée de la clause notariée.

Le régime légal français, applicable à défaut de contrat de mariage, est celui de la communauté de biens réduite aux acquêts. Tout bien meuble ou immeuble acquis pendant le mariage est alors présumé être commun aux deux époux, sauf preuve contraire.

Ainsi, pour des raisons de protection du patrimoine à l’encontre d’éventuels créanciers les époux préfèrent adopter le régime de la séparation de biens défini aux articles 1536 et suivants du Code Civil qui entraîne une séparation de leurs patrimoines et de leurs revenus.

A cette fin, les conjoints se rendent chez un notaire afin qu’il rédige le contrat de mariage régissant notamment leurs rapports patrimoniaux, et plus spécifiquement les modalités de contribution aux charges du mariage par chacun d’entre eux.

La pratique notariale insère quasi-systématiquement une clause relative à cette participation rédigée comme suit : « Les futurs époux contribueront aux charges du mariage en proportion de leur facultés respectives, conformément aux dispositions des articles 214 et 1537 du Code Civil. Chacun d’eux sera réputé s’être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux, ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre. »

Cette clause ne pose pas de difficultés jusqu’au divorce où l’un des conjoints peut être tenté de demander à son futur ex-époux de lui restituer les fonds qu’il a investis dans le couple, et en particulier pour l’acquisition de biens immobiliers indivis dont l’ancien domicile conjugal.

Il s’agissait alors de solliciter du Juge aux Affaires Familiales le constat d’une créance entre époux par la démonstration que l’époux demandeur a contribué au-delà de la participation auquel il était tenue de par l’article 214 du Code Civil et les dispositions de son contrat de mariage.

Dans l’hypothèse où le magistrat faisait droit à la demande de l’époux, son conjoint qui pensait détenir par exemple 50 % de la propriété du domicile conjugal pouvait alors lui devoir une somme équivalente à la valeur de sa quote-part de propriété et de facto se retrouver sans aucun droit sur ledit bien immobilier.

Certains arrêts avaient considéré que la clause contenue dans le contrat de mariage n’instaurait qu’une présomption simple d’exécution régulière de l’obligation de contribution aux charges du mariage et n’empêchait pas l’époux de réclamer une créance entre époux.

Face à ces errements dans l’application de la clause notariée, la Cour de Cassation avait par deux arrêts de 2013[2]rappelé la force contractuelle de la présomption instaurée par la clause notariée relative à la contribution aux charges du mariage et exclu toute créance entre époux.

Par sa décision du 1er avril 2015, la Cour de Cassation affirme explicitement que la clause contenue dans le contrat de mariage interdit aux époux de prouver que l’un ou l’autre des conjoints ne s’était pas acquitté de son obligation et ferme ainsi la porte à la reconnaissance par les juges d’une quelconque créance entre époux sur le fondement d’une contribution supérieure de l’un des conjoints.


[1] 1er Civ., 1er avril 2015, n° pourvoi 14-14349

[2] 1er Civ., 15 mai 2013, n° pourvoi 11-26933 ; 1er Civ., 25 septembre 2013, n° pourvoi 12-21892

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